Histoires de la nuit

Le Théâtre de Tardy reste vide pour une durée indéterminée…

Voici un bel article, datant d’il y a trois mois, à méditer…

Rappelez-vous, à l’époque le couvre-feu était à 21 heures…

Par Olivier Lamm — 15 octobre 2020 à 13:22

On a raison, quelques heures après l’annonce du couvre-feu, de penser que le pire nous arrive. Sans les cultures de la nuit, la société fait bien plus que perdre sa soupape : elle se dégrade.

«Tout au long de leurs générations / les hommes ont érigé la nuit», racontait Jorge Luis Borges dans son Histoire de la nuit. Et la nuit ne fut pas que «la mère des Parques tranquilles qui tissent le destin» mais la mère de l’émancipation, l’endroit où les hommes s’imaginèrent un destin propre, autre que celui de leurs jours ; nuit des apprentissages sauvages, de la parole déliée, de l’électricité. Nuit de la culture, des cultures qui s’y sont épanouies là où en plein jour, moment du travail, du commerce, de la société qui se tient sagement, dans sa grande majorité, dans le mouvement général de la production et du progrès, ces cultures étaient proscrites, à contre-courant, contraires à la bienséance des familles et des enfants, indécentes dans leur liberté arrachée sans autorisation, et leur improductivité. La nuit a toujours été plus que la suite du jour où la bourgeoisie festoyait, allait se dégonder au bal ou au spectacle, elle est le lieu des autres cultures, contre-cultures au sens propre, délirantes, carnavalesques, politiques et sexuelles, aux affranchissements mêlés, le plus souvent, en un tourbillon envapé ou psychédélique, et qui ne seraient jamais nées, n’auraient jamais essaimé, sans l’obscurité lézardée de lueurs tremblotantes de flambeaux ou hachée de stroboscopes clignotants.

On a raison ce matin, quelques heures après l’annonce d’un couvre-feu dans huit métropoles françaises nous forçant à nous calfeutrer à domicile de 21 heures à 6 heures du matin, de penser que le pire nous arrive, quand bien même la pensée nous fait dire que les sorties nocturnes, quand elles ne sont pas laborieuses, sont de la distraction. On a raison d’y penser parce que se distraire, c’est regarder ailleurs, dans une autre direction, penser autrement. Sans les cultures de la nuit, opéra, bals, boîtes, clubs où l’on pouvait jusqu’à peu s’élever comme nulle part ailleurs, socialiser sans entraves, se mettre en danger mais aussi se mettre à poil, apprendre à se connaître, âme et corps, la société fait bien plus que perdre sa soupape, elle se détraque, se dégrade ; sans les cultures de la nuit, sans ces rencontres clandestines, ces hurlements de pots d’échappement qui font le tour de la rocade jusqu’à pas d’heure, ces beuglements de déesses ivres qui font se réveiller en sursaut ceux qui vont bosser aux aurores, la démocratie elle-même vacille.

Sans même parler des conséquences, puisque le coup de grâce, pour un nombre vertigineux de lieux de culture, d’artistes, de troupes, sera, cette fois, réel et sans appel. Alors soit, on ira au cinéma en fin d’après-midi, au théâtre en début de soirée, peut-être même au concert, on dînera à la va-vite, on se couchera de bonne heure avec les enfants ou on se branchera sur Netflix, tristement. Aussi, on sera solidaires, on sauvera les nôtres, parce qu’il n’y a pas d’autre solution, nous ont indiqués les médecins, que nous sommes des sœurs et des frères humains, et des citoyens. Mais pendant tout le temps que durera le couvre-feu, nous nous dégraderons, et nous mourrons, tous, jeunes et moins jeunes, un peu, à petit feu.

Olivier Lamm

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